Jean-Pierre Dumas
19 janvier, 2025
« la lâcheté qui est la nôtre d’entretenir nos dépenses courantes en empruntant sur le dos des générations futures »
Qui a écrit cela ?
Est-ce que l’actuel Premier Ministre se souviendra de ce qu’il disait comme Haut-Commissaire au Plan ?
« Notre presse, presque tout entière, et tout ce qu’il y a, dans notre littérature, de foncièrement académique, ont répondu dans notre opinion le culte du convenu. »
Marc Bloch, L’étrange défaite
« Aucune agence ne fournit la contribution des retraites aux déficits publics, alors que la Cour ces comptes et l’Institut National de la statistique (INSEE) pourraient l’établir sans difficulté »
S. Bouverin Pour une transparence des comptes des retraites, Risques-132, 2022
Résumé :
Cette note a pour objectif de présenter ce que devrait être le budget retraite d’un système par répartition. Notre critique de la présentation et de l’approche du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) repose sur la définition des recettes du système des retraites. C’est tout et c’est beaucoup, ça change tout.
Pour le COR, le budget retraite de la France est, en 2023, équilibré (il sera, d’après le COR, légèrement déficitaire dans les années à venir). D’après notre présentation et en utilisant les chiffres du COR, le budget retraite de la France connaît un déficit en 2023 qui s’élève à €117 milliards ou 4% du PIB, si le déficit global des administrations publiques, cette année, s’élève à 5.5% du PIB, cela signifie que le budget retraite contribue pour plus de 70% au déficit global de la France. Comment peut-il y avoir deux chiffrages du solde des retraites aussi différent ? Cet article essaie de répondre.
Toute la controverse avec le COR vient d’un problème de présentation et de définition. Le système des retraites par répartition, qui est le modèle français, repose sur les cotisations des employés et des entreprises, cotisations qui sont reversées en temps réels aux retraités. En conséquence, les revenus du budget retraite (tous régimes confondus) correspondent aux cotisations (dont on a éliminé les subventions) moins les prestations. Le solde de ce budget correspond à la différence entre les cotisations et les prestations. Si ce solde est déficitaire et si l’État est le garant, en dernier ressort, des retraites calculées d’une manière exogènes (système français), alors l’État finance ce déficit par des transferts au système retraite, ces transferts s’appellent impôts affectés, subventions, transferts d’une caisse à la caisse retraite. Tous ces transferts financent le déficit du système retraite.
Il n’est pas difficile de critiquer l’approche du COR qui est fausse sur le plan économique et philosophique.
Sur le plan économique, le COR n’a aucune idée de ce que sont les recettes d’un budget retraite, pour lui, les subventions de l’État en faveur des retraités (principalement les fonctionnaires) sont une ressource du budget retraite, sur le plan économique, les subventions de l’État ne sont pas une recette d’un budget retraite, mais un financement du déficit. Ça change tout, ce poste, qui était au-dessus de la ligne comme recette, passe en dessous de la ligne comme financement du déficit. On peut faire le même raisonnement pour les transferts en provenance des autres caisses et même les impôts affectés. Tous ces postes sont, à notre sens, des financements du déficit. Le COR par cette pratique, masque le déficit.
Deuxième critique liée à la première, qui a été décelée par Madame Bouverin et N. Marques, les cotisations de l’État en faveur de ses fonctionnaires sont largement enflées, elles incluent, ce que ces auteurs appellent une surcotisation par rapport à ce que serait une cotisation normale de la part d’un employeur pour ses employés. Cette surcotisation s’analyse comme une subvention de l’État en faveur de ses fonctionnaires pour qu’ils reçoivent une pension égale à ce qu’ils doivent recevoir légalement.
Nous critiquons le concept de CAS (Compte d’Affectation Spécial) qui représente bien la vision de la fonction publique sur le budget retraite des fonctionnaires. Le CAS est un sous budget à l’intérieur du budget général, il est par principe équilibré (en contradiction avec le principe de l’universalité budgétaire). Les dépenses retraite des fonctionnaires sont fixées par la loi (ou un décret), elles sont fixées a priori sans tenir compte des recettes (des cotisations) pour que ce dû soit équilibré, l’État finance la différence par des subventions. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que le COR découvre que le budget retraite des fonctionnaires soit équilibré depuis 20 ans. S’il y a un déficit dans le budget global des retraites (public et privé), il ne peut venir que du secteur privé, alors que c’est l’inverse. Le système retraite des fonctionnaires est très déficitaire, le régime de base des salariés du privé est en léger déficit, le régime complémentaire Agirc-Arcco est excédentaire.
L’objectif de cet article consiste donc à :
a) Restructurer le budget retraite en utilisant une optique économique (non idéologique).
b) Rappeler qu’une subvention est toujours une dépense de l’État et que donc la ressource dans le budget retraite s’annule avec la dépense (ça s’appelle la consolidation, concept inconnu au COR).
c) Comparer notre estimation du déficit des retraites avec les estimations (plus faibles) de Mme Bouvrerin, N. Cortes et du Commissariat au Plan) dont nous nous inspirons modestement.
En fait, tout l’exercice du COR consiste à masquer (pour certains, peut être de bonne foi) le fait brut que le déficit du budget retraite atteint des proportions inquiétantes et est la cause principale du déficit budgétaire français. Montrer l’importance de ce déficit, ne signifie pas qu’il faille l’éliminer demain, cela signifie que le cacher fait partie des causes de notre « étrange » déclin.
· "Il n’y a pas le feu au lac", vraiment ?
Pour l’institution chargée de conseiller le Gouvernement sur les retraites et leur évolution future (le COR), le budget global retraite est équilibré sur la période 2002-2023. Le budget retraite, selon le COR, est légèrement en surplus en 2023 (0.1% du PIB) et sera légèrement en déficit dans les années à venir, le déficit sera sur toute la période de projection inférieure à 1% du PIB. Pas de quoi fouetter un chat, ou, comme le dirait un syndicaliste, « il n’y a pas le feu au lac ».
1. Le budget-retraites présenté par le COR est construit de façon à masquer le déficit
« lorsqu’il est affirmé que nos régimes de retraites sont « en excédent » il s’agit seulement et uniquement d’un constat partiel qui ne porte que sur les régimes complémentaires de salariés ou d’indépendants, à l’exclusion des régimes de la fonction publique, des régimes spéciaux et d’exploitants agricoles, dont le large déficit est couvert par des fonds publics. »
F. Bayrou, « Retraite une base objective » Commissariat au Plan, 2022
On ne peut pas mieux dire (on souhaite que le PM d’aujourd’hui n’oublie pas le Haut-Commissaire au Plan d’alors).
Toute la confusion sur les retraites vient d’un problème de définition sur les retraites et les ressources allouées aux retraites. Les mots n’ont pas le même sens chez les "experts du COR" et ceux qui essaient d’aborder la réalité avec des concepts. En changeant la signification des mots, la bureaucratie cherche, en jetant un voile pudique, à masquer la réalité des choses afin de ne pas mécontenter une partie importante de la population qui a fait de la retraite une passion et maintenir la permanence d’avantages acquis en faveur d’un groupe privilégié.
La France a de nombreux régimes de retraite (42), mais tous reposent sur le principe de la répartition. Un système de retraite par répartition est une pompe aspirante qui aspire les cotisations des actifs et refoule au cours de la même l’année, des pensions versées aux retraités. Donc, dans le système de retraite par répartition, les recettes sont fournies par les cotisations des actifs et les dépenses sont les prestations données aux retraités.
« Le système retraite devrait être considéré comme un tout puisqu’au bout du compte c’est l’État, au nom de la Nation, qui est appelé à en assurer l’équilibre général »
F. Bayrou, Haut-Commissaire au Plan (2022)
Notre définition du système retraite par répartition est en fait celle du COR. «Normalement, un système de retraite en répartition est financé par les cotisations des actifs en emploi prélevées sur leurs salaires bruts selon un taux de cotisation déterminé. » Nous adhérons entièrement à cette définition. Dommage que le COR ne l’applique pas. Le budget retraite a en recette les cotisations des actifs financées par les employés et les employeurs sur une base identique et en dépense les prestations fournies aux retraités.
Dans la présentation du COR, le budget-retraite (nous appelons, budget-retraite, le total des différents budgets des régimes de retraite par répartition, publics et privés) comprend en ressources (le COR utilise le terme de ressource au lieu de recette) non seulement les cotisations des employés et des employeurs, mais aussi les subventions fournies par l’État et les impôts affectés au budget retraite destinés à « assurer l’équilibre financier du régime de la fonction publique de l’État et des régimes spéciaux » (Rapport annuel du COR, 2024). Donc, dès le départ, nous savons que les impôts affectés et les subventions servent à assurer l’équilibre financier du système retraite ; dans ces conditions, le système est par construction équilibré. Dans ce cas, on ne voit pas très bien à quoi ça sert de projeter sur n années le solde. Il ne peut y avoir de déficit que «pour les régimes qui ne sont pas équilibrés par l’État, laissant de côté les déficits, d’origine principalement démographique, qui affectent 30% des retraites, concentrés sur les régimes d’agents publics (fonctionnaires, régimes spéciaux) et sur le régime des exploitants agricoles. » (S. Bouverin, « Pour une transparence des comptes et du financement des retraites », Risques-132/2022).
Ce bel équilibre (ressources égales emplois) ne peut être atteint que grâce à un absent, l’État. En effet, les ressources du budget retraite, les impôts affectés et les subventions ne sont pas issus de la génération spontanée, ils ne peuvent provenir que du budget de l’État et ce qui est une ressource pour le budget retraite ne peut être qu’une dépense pour le budget État. Or l’État est l’agent absent du raisonnement COR, il a décidé d’inscrire, comme recette, les transferts de l’État en faveur du budget retraite; l’agent État est à la fois présent (quand il s’agit des recettes) et absent (quand il s’agit de connaître la source de ces recettes). Si le budget retraite est équilibré, c’est parce que l’agent État est en déficit, ce déficit sert à financer le déficit caché du budget retraite. De deux choses l’une, ou l’on masque le déficit du budget retraite en le repoussant ailleurs, ou on le fait figurer dans le budget retraite. Le COR a choisi la première solution, donc le budget retraite est par construction équilibré, le déficit est reporté sur le budget de l’État.
Sur le plan économique, il y a une différence de nature entre les cotisations des actifs employés et les transferts de l’État au budget retraite. Les premières sont des ressources propres du budget retraite, les secondes sont des transferts d’un agent public à un autre agent public et donc s’annulent dans la consolidation des deux budgets.
La vision COR n'est pas économique, elle est idéologique en assimilant des transferts de l’État au budget retraite, le COR fait croire que ce budget est équilibré, il n’en est rien. Un budget retraite « équilibré » grâce aux transferts de l’État masque en réalité le transfert considérable opéré par l’État (les contribuables) en faveur des retraités, et plus particulièrement les retraités fonctionnaires.
En faisant croire que le système retraite français n’est pas le principal responsable du déficit budgétaire, on s’empêche de rechercher les moyens à réduire ce déficit (qui ne pourra que croître). Comment peut-on s’imaginer qu’un pays, qui dépense 14% de sa richesse nationale chaque année pour ses retraites, les finance par des cotisations des actifs ?
Or, si on souhaite que le système de retraite soit viable dans la durée (le mot «sustainability » n’existe pas en français), il doit être financé essentiellement par les cotisations des actifs et non par des impôts et des subventions. Dans le cas contraire, il y a trois solutions, l’accroissement des charges (de préférence sur les entrepreneurs, solution française), ou la réduction des prestations (ce n’est pas envisageable par les politiques, car ça entraîne des mouvements divers dans la rue et l'impopularité du gouvernement), ou accroissement des subventions octroyées par l’État pour financer le déficit-retraite (solution française). La présentation du budget retraite par le COR nous empêche de proposer des politiques adéquates, puisque le problème ne se pose pas.
Pour illustrer notre propos, prenons un exemple théorique simple (dans notre exemple, il n’y a que deux agents, l’agent retraite et l’agent État, les opérations de l’agent État sont limitées à ses relations avec l’agent retraite). Dans le premier cas (cf. tableau 1), on présente le budget retraite, présentation COR. Le budget est équilibré ; mais ce surplus est atteint grâce à des subventions fournies par l’État (donc une dépense budgétaire) et à des impôts affectés par l’État au budget retraite (donc un détournement d’impôt). Si on regarde le budget consolidé État-retraite, alors les subventions et les impôts affectés disparaissent dans la consolidation du budget retraite État, il ne reste plus en recettes que les cotisations des employeurs et employés. Le solde est négatif. L’équilibre du budget retraite est dû au déficit du budget État, le grand absent du raisonnement COR.
Tableau 1 Présentation COR, le budget retraite est équilibré, parce que le budget de l'État est en déficit. Si on consolide le budget retraite et le budget État, alors le budget consolidé est en déficit.

Le COR ignore le déficit de l’État pour financer le budget retraite. Alors, le COR répondra, je ne suis pas responsable du budget de l’État, je ne m’occupe que du budget des retraites et ma présentation est cohérente avec celle du législateur. Le législateur a le pouvoir d’accroître (ou réduire) les dépenses et les recettes, mais ne dit rien sur la présentation du budget retraite, ce n’est pas son rôle. En revanche, le rôle d’un organisme en charge de présenter le budget retraite devrait consister à présenter d’une manière rationnelle (économique) le budget retraite.
Néanmoins, on constate que, dans le budget retraite, selon le COR, il y a une ligne clé «cotisations sociales hors contributions d’équilibre ». Le COR prend la bonne décision d’isoler les cotisations sociales hors subventions et impôts affectés, il n’en tire pas les conséquences, il continue à faire comme si les subventions diverses et les impôts affectés étaient des ressources normales du budget retraite, or ce sont des financements du déficit.
Alors, comment devrait être présenté le budget retraite ? En appliquant la définition propre du COR (qu’il oublie).
Tableau 2 Le budget retraite tel qu’il devrait être présenté

Le budget retraite n’est pas le budget de l’État, donc les impôts ne devraient pas être une recette pour ce budget. Cela ne signifie pas que l’État n’a pas le droit d’allouer des impôts au budget retraite, cela signifie que, sur le plan de la présentation du budget retraite, les impôts ne devraient pas figurer dans le budget retraite. De toute façon, les impôts affectés ne peuvent se trouver, en même temps, comme recette du budget de l’État et du budget retraite.
Essayons de mettre des chiffres sur ce modèle pour 2023, la dernière année connue.
Le budget retraite (COR) est équilibré, (cf. tableau 3) parce qu’en dehors des cotisations des actifs, le COR a ajouté diverses subventions (contributions pour équilibrer le déficit des retraites des fonctionnaires, des subventions aux divers régimes sociaux (RATP, SNCF, mines, etc.), des subventions pour les employés du privé, des impôts affectés, des transferts de caisse excédentaires (famille) vers le budget retraite. Tous ces transferts en faveur du budget retraite représentent un tiers des ressources (au sens du COR) du budget retraite ou 4% du PIB. L’État a tout à fait le droit de subventionner les budgets retraites, mais ces subventions et impôts ne font pas partie des recettes du budget retraite, seules les cotisations versées par les actifs sont des recettes (deux tiers des recettes ou 9% du PIB).
Comme le reconnaît le COR (malheureusement sans en tirer les conséquences) « sur 382 milliards (sans les produits) qui composent en 2023 les ressources du système de retraite, seuls 257 milliards sont financés par les cotisations sociales du secteur privé et public. Le reste provient de transferts de l’État ou d’autres contributions publiques. » (Rapport annuel du COR, 2024). Cela signifie que les cotisations (recettes normales d’un budget retraite) ne contribuent que pour les deux tiers aux ressources du budget retraite, le reste provenant des transferts de l’État.
Si les recettes (les cotisations), en 2023, sont égales à 9% du PIB et les dépenses à 13.4%, alors le déficit est égal à 4.4% du PIB (pour un budget équilibré, on a fait mieux).
Tableau 3 Le budget retraite COR connaît un surplus en 2023

La présentation que nous proposons est différente, on ne considère en recettes du budget retraite que les cotisations (dont on a éliminé les surcotisations payées par l’État pour ses fonctionnaires). Le solde est la différence entre les cotisations (normales) du secteur privé et public et les prestations. Ce solde déficitaire est financé par des impôts affectés, des subventions et des transferts d’autres caisses.
Tableau 4 Le budget retraite "retraité" connaît, en 2023, un déficit s’élevant à €117 milliards soit 4% du PIB, ce déficit représente 75% du déficit global des administrations publiques

Pour qu’un budget-retraite par répartition soit viable, il faut que les prestations soient égales aux cotisations; or, il y a 100 dans la caisse retraite (en ressources propres) et 147 en dépenses de prestations. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le budget retraite n’est pas viable ni aujourd’hui, encore moins demain si on continue sur ce sentier.
Alors, le COR, qui commence à être critiqué sur sa présentation biaisée, utilise les arguments suivants :
La définition des ressources, donc du solde, est «conventionnelle », elles ne dépendent pas de « la nature intrinsèque des prélèvements, mais des décisions contingentes d’un législateur » COR, Rapport annuel, 2023, p99.
On est au cœur de la controverse. La culture des finances publiques française considère un budget comme un tableau de financement où les ressources sont égales aux emplois. Dans un tableau de financement, on inclut les emprunts (l’accroissement de la dette) comme une ressource, dans cette optique il n’y a pas de déficit. Or ce que l’on cherche dans un budget c’est de connaitre pour chaque agent public son solde (la différence entre recettes et dépenses) qui, s’il est négatif, ne pourra qu’être financé par des emprunts. Pour le budget-retraite, les recettes (les cotisations) moins les dépenses (les prestations) donne le solde. Si les cotisations (sans subventions de l’État) sont inférieures aux recettes, le budget retraite est en déficit et ce déficit est financé par des transferts de l’État à son profit. Ces transferts de l’État sont soit des dépenses de l’État, soit des impôts transférés par l’État au budget retraite. Ce n’est pas une « convention ». La logique économique permet d’assigner à chaque agent (État, retraite) l'origine du déficit. Ce n’est pas parce que ce raisonnement montre que la cause du déficit budgétaire français peut largement être attribuée au budget retraite qu’il faut le masquer.
Selon le COR, il y a effectivement un déficit budgétaire de l’État, mais pas de déficit budgétaire des ministères de l’Éducation nationale, de la Défense, etc. ; en conséquence, il n’y a pas non plus de déficit budgétaire des retraites, en vertu du principe de non-affectation des ressources aux dépenses. 1) C’est méconnaître le fait que les dépenses allouées aux pensions des fonctionnaires sont financées et équilibrées par des transferts de ressources publiques. 2) On ne peut confondre les dépenses des ministères qui sont financées par des impôts qui, par principe, sont non affectés, avec les dépenses des retraites qui sont financées par les cotisations des employés et des employeurs. IL y a deux budgets de nature différente, celui de l'Etat financé par des recettes fiscales et le budget des retraites financé par des cotisations. C'est une erreiur de présentation de les mélanger.
Le législateur a le droit d’affecter des ressources aux retraites pour des raisons politiques, mais ce n’est pas au législateur à décider de la définition des recettes d’un système de retraite. Dans un pays lucide, il est important de savoir si le système des retraites du pays est viable ou non, la présentation COR donne une fausse impression d’équilibre.
Un autre argument du COR consiste à utiliser le concept de solde des administrations publiques (APU). En effet, si on regarde le tableau 1, le budget retraite est équilibré au prix du déséquilibre du budget de l’État (1100), ce déséquilibre se retrouve bien au niveau du solde consolidé des administrations publiques, donc, nous dit le COR, il n’y a rien de caché, le déficit qui n’apparaît pas au niveau budget retraite apparaîtra bien au niveau consolidé. « En tout état de cause, le choix retenu concernant l’évaluation des ressources et leur affectation reste sans effet sur le solde global des finances publiques » (COR, 2024, p. 18). Certes, le déficit masqué au niveau du budget des retraites est transférer au niveau du budget de l’État et apparaîtra bien dans le solde global du budget des APU. Il n’en demeure pas moins que la présentation COR du budget retraite est fausse, car elle masque l'origine du déficit, le budget-retraite. L’équilibre du budget retraite n’est possible que par le déficit du budget État. Masquer la cause du déficit budgétaire revient à masquer la responsabilité du système retraite sur la hausse de la dette publique.
Deuxièmement, on ne peut se contenter de se limiter au budget global (budget au niveau des administrations publiques (APU) de la nation, il faut isoler les budgets autonomes qui constituent le budget des APU. L’État, les retraites, la SS et les collectivités locales. Le problème est qu’en France, le budget retraite est éclaté entre le budget de l’État (CAS retraite des fonctionnaires) et le budget de la SS. Il serait souhaitable que l’INSEE présente le budget autonome des retraites.
« Une gestion très exigeante de la masse salariale publique» vraiment ?
Un argument idéologique, les taux de cotisation retraite des fonctionnaires d’État sont certes supérieurs à ceux du privé, mais ils sont compensés par « une maîtrise » de la masse salariale dans la fonction publique. C’est tout simplement renversant, voilà que tous les gouvernements parlent de la réduction des effectifs dans le secteur public alors que leur nombre augmente chaque année. La masse salariale de la fonction publique représente 12% du PIB, c’est la deuxième dépense publique après les retraites. Parler de maîtrise de la masse salariale de la fonction publique semble quelque peu exagéré.
Un autre argument (le plus fréquent), à quoi bon réformer le système de retraite français, puisqu’il est équilibré ? Il faut hausser l’âge du départ à la retraite à au moins 65 ans ? Vous plaisantez, le système est en équilibre. Aligner les retraites des fonctionnaires sur celles du privé ? Vous êtes antisocial et réactionnaire.
« Étrange zèle qui s’irrite contre ceux qui accusent des fautes publiques et non pas contre ceux qui les commettent. »
B. Pascal, onzième lettre écrite aux révérends pères jésuites, 1656
Un autre argument (celui des gens raisonnables) à quoi ça sert de montrer qu’il y a un déficit énorme au niveau des retraites, puisque, de toute façon, aucune réforme n’est envisageable, ni possible en France. Comme le dit Marc Bloch (Une étrange défaite), notre refus de voir la vérité en face est peut-être la somme de beaucoup de faiblesses individuelles.
« Cette faiblesse collective n’a peut-être été, souvent, que la somme de beaucoup de faiblesses individuelles. »
Marc Bloch, L’étrange défaite
· Dire que le budget retraite est en déficit de 117 milliards est “une aporie” (COR)
C’est le dernier argument du COR en forme d’aveux, certes le déficit est bien égal à ce montant, mais à quoi ça sert de le mentionner, puisqu’il est improbable que quiconque puisse envisager des mesures d’économie à hauteur de 117 milliards pour réduire un tel déficit ? C’est reconnaître que, certes il y a bien un déficit, mais il ne peut être supprimé, donc masquons-le par une présentation artificielle. En fait l’ "aporie", ça consiste à faire croire que le déficit n’existe pas, sous prétexte qu’il est trop important. La philosophie du COR consiste à masquer le déficit pour masquer les efforts à fournir pour équilibrer progressivement les différents régimes de retraite. Ce n’est pas en le masquant qu’on le supprimera. Persone ne demnde de supprimer du jour au ledemain €117 milliards mais refuser de commencer est suicidaire.
2. Critique du concept de CAS
Pour masquer le déséquilibre intrinsèque du budget retraite des fonctionnaires civils et militaires, la fonction publique française a inventé le concept idéologique de compte d’affectation spécial (CAS) (en contradiction avec le principe de l’universalité budgétaire). C’est un compte où des recettes sont affectées à une dépense déterminée et ce budget spécial est par principe équilibré (le concept de CAS est en contradiction avec le concept de fongibilité, il est impossible d’assigner une recette à une dépense déterminée). Seuls les fonctionnaires d’État civil et militaire, les ouvriers d’État font l’objet d’un CAS qui est par principe équilibré, donc le déficit du budget retraite est nul.
Cet équilibre du CAS retraite ne peut s’obtenir que grâce à des subventions étatiques. Dans la mesure où ces subventions sont une dépense budgétaire qui sera financée, in fine, soit par des impôts ou des emprunts (qui ne sont rien d’autre que de futurs impôts) cela signifie que les contribuables financent les généreuses retraites des fonctionnaires. Beaucoup de députés et de syndicalistes sont des fonctionnaires et ils ont parfois tendance à confondre leurs intérêts avec ceux du pays et ça marche.
Conclusions
« Ce biais de communication, assumé depuis longtemps pour éviter d’inquiéter sur les perspectives des retraites, retarde la prise de conscience de l’urgence des réformes et interdit de s’attaquer à une harmonisation à long terme des régimes. »
S. Bouverin, 2022
On sera étonné que notre déficit du budget retraite soit beaucoup plus élevé que ceux trouvés par les experts les plus sérieux.
Pour Mme Bouverin (2022), le déficit du budget retraite s’élève à 1.3% du PIB en 2021, alors que, selon notre présentation, il s’élèverait à 4.7% du PIB la même année.
Mme Bouverin (ainsi que le HCP) a une optique différente, elle retire, du déficit comptable, des exonérations de cotisations générales et ciblées couvertes par l’État et des dépenses de solidarité. Cette décision est une décision politique, qui vise à proposer un déficit plus raisonnable qui considère que l’État doit intervenir pour subventionner les retraites de certains groupes sociaux pour des raisons de solidarité. Cette optique est tout à fait justifiable ; n’ayant pas le pouvoir ni la capacité de faire le distinguo entre subventions sociales ou pas, notre objectif se limite à estimer le déficit global du système retraite français qui devra être financé par de l’augmentation de la dette. Que les subventions servent à financer des dépenses de solidarité ou non, il faudra, à la fin de la journée, les financer, soit par des impôts, soit par un accroissement de dette.
Pour le Commissariat au Plan, il s’élèverait à 2.1% du PIB (en 2021), toujours en prenant en compte les dépenses de « solidarité » des différents régimes.
Pour N. Marques (2024), le déficit du budget retraite s’élève à 2% du PIB en 2023 soit €56 milliards. Pour N. Marques, le déficit du budget est dû aux surcotisations payées par l’État en faveur de la fonction publique d’État (1.8% du PIB) et aux subventions versées aux régimes spéciaux (SNCF, RATP, mines, etc.) (0.2%). Pour nous, le déficit du budget retraite ne se limite pas aux surcotisations et aux subventions versées aux régimes spéciaux, il faut y ajouter les transferts provenant d’autres caisses, les subventions en faveur des employés privés et les impôts affectés. Ce sont des transferts de l’État qui entre dans la définition du déficit.
Remarque ; N. Marques nous fournit une liste détaillée de toutes les surcotisations en faveur des différents régimes publics année par année de 2002 à 2023. C’est un travail considérable et fort utile. Il fournit le total de ces surcotisations de 2002 à 2023, sur le plan économique on n’a pas le droit d’additionner des montants nominaux à des dates différentes, il faut les calculer à prix constants. €24 milliards en 2002 ne sont pas égaux à 24 milliards en 2023, mais à 31 milliards, si on prend un taux d’inflation moyen de 1.6%). Donc, le total des surcotisations en euro constant est supérieur à la somme des surcotisations en monnaie courante).
· Nous a-t-on menti sur le déficit réel des retraites en France ?
Le Premier ministre actuel est tout à fait au courant des défauts structurels du système de retraite français. Il a même fait publier un rapport remarquable sur les retraites en France (Commissariat au Plan, « Les retraites : une base objective pour le débat civique », 2022).
« globalement, notre protection vieillesse obligatoire est en fait en déficit structurel important »
Haut-Commissaire au Plan, 2022
Est-ce que le PM actuel se souviendra de ce qu’écrivait le Haut-Commissaire ?
L’objectif de cet article, ne consiste pas à faire du sensationnalisme en gonflant le déficit, mais à rechercher la vérité sur l’importance du déficit dû au système retraite français en utilisant des concepts économiques. Certes, ce déficit ne va pas être annulé demain, mais le masquer comme le fait le COR ne nous prépare pas à commencer à le réformer. Il serait sans doute raisonnable à commencer à penser à aligner le système de retraite des fonctionnaires sur celui du secteur privé. Les prestations généreuses pour certains groupes pourraient être revues. L'introduction d'un troisième volet sous forme de retraite par capitalisation semble nécessaire.
On regrette que le Commissariat au Plan ne continue pas le travail patient qu’il a fait en 2022, « Retraite : une base objective pour le débat public ». Il devrait procéder, sur sa base, à la projection des retraites, c’est après tout le travail d’un commissariat au plan de projeter les grandes tendances du futur, il ne devrait pas laisser le monopole de la projection des retraites à un organisme biaisé.
Les retraites avec l’excès de dépenses publiques, le faible temps de travail, font partie de l’ « étrange » déclin français, comme le dit Marc Bloch
« ayant perdu l’habitude de regarder en face leur pensée, se laissent-ils eux-mêmes prendre dans les filets de leurs propres équivoques…Comme la parole qu’ils prêchaient était un évangile d’apparente commodité, leurs sermons trouvaient un facile écho dans les instincts paresseusement égoïstes qui, à côté de virtualités plus nobles, dorment au fond de tout cœur humain. »
Marc Bloch. L'Étrange Défaite
et le scandale supplémentaire est que ceux (régimes spéciaux) qui bénéficient d'une retraite bien plus généreuse par rapport à leur salaire antérieur (et donc leur cotisation) cherche par le biais de l'état à voler ceux (du privé) dont les retraites sont bien plus modestes (Agirc-Arrco) :
financement des retraites SNCF par l'Agirc-Arrco sans paiement d'une soulte
financement des retraites EDF par l'Agirc-Arrco avec une soulte bien sous évaluée
tentatives répétées de l'état de prélever d'autorité dans les caisses de l'Agirc-Arrco (donc sur les retraites du privé) pour financer les déficits des régimes spéciaux...
La mal-honnetteté au pouvoir!