Jean-Pierre Dumas
7 novembre 2023
« L’État ayant dépensé
Tout l’été
Se trouva fort dépourvu
Quand il fallut financer ses agents,
Plus d’argent.
Il alla crier famine
Chez l’Argirc-Arrco sa voisine,
La priant de lui donner
Quelques sous pour financer son déficit,
« C’est pour la solidarité », lui dit-il.
L’Agirc-Arrco n’est pas prêteuse ;
C’est là son moindre défaut.
« Que faisiez-vous au temps faste?»
Dit-elle à ce quémandeur.
« Je dépensais à tout venant, pour de bonnes causes»
« Vous dépensiez ! J’en suis fort aise.
Eh bien ! empruntez maintenant »
L’Agirc (Association Générale des Institutions de Retraite Complémentaire des Cadres) et l’Arrco (Association pour le Régime de Retraite Complémentaire) gèrent les retraites complémentaires des salariés du secteur privé.
L’Agirc-Arrco est un système de retraite complémentaire au régime général, c’est un système de retraite par répartition obligatoire, qui fonctionne par points. Les points reçus par chaque pensionnaire sont fonction du montant des cotisations versées (employeurs et employés), le total des points est multiplié par la valeur du point à la date du départ à la retraite. Le montant annuel brut de la retraite est donc égal au (nombre de points Agirc-Arrco) x (la valeur du point).
C’est, oh miracle, une caisse gérée par les syndicats et qui est à l’équilibre (ce qui n’est pas le cas du système de retraite général, ni a fortiori du système de retraite des fonctionnaires).
L’Agirc-Arrco est un système à contribution définie, c. à d. que les prestations sont définies par rapport aux cotisations versées, autrement dit s’il y a 100 dans la caisse on distribue une somme inférieure ou égale à 100. On le fait en jouant sur la valeur du point, s’il y a des cotisations dans la caisse s’élevant à par ex. 90 , alors les gérants de la caisse, s’ils sont responsables, vont baisser, sans tambours ni trompettes, la valeur du point et on distribuera 90, dans le cas contraire, s’il y a 110 dans la caisse, alors les gérants peuvent soit opter pour maintenir le point à sa valeur et constituer des réserves pour des jours moins fastes où ils peuvent distribuer 110, alors chaque retraité bénéficiera d’une retraite plus élevée et il n’y aura ni réserves, ni déficit.
On voit, avec cet ex. simple, que ce système de retraite par répartition avec une valeur du point modulable (à la hausse ou à la baisse) en fonction des recettes est un excellent système quand il est géré par des acteurs responsables (c’est-à-dire, pas par l’État). C’est ce qui est le cas à l’heure actuelle, cela prouve que les syndicalistes quand ils travaillent hors des projecteurs et des déclarations politiques savent gérer d’une manière sensée un système complexe.
Or l’allongement de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans a pour effet mécanique de gonfler les cotisations et donc les excédents du régime complémentaire. Il y a, ce que l’on appelle en France, une «cagnotte» (c’est le niveau économique). Des entrées exceptionnelles, dues à une réforme élémentaire du système de retraite français (on passe de 62 à 64 ans…), sont estimées à €400 millions en 2024, €800 millions en 2025 et €1.2 milliards en 2026. Ce surplus peut: soit être capitalisé, soit être dépensé, soit être «confisqué» par l’État pour financer le système de retraite des fonctionnaires ou le régime général, tous deux largement déficitaires ou pour servir à financer des promesses faites dans le feu de la négociation (relèvement des petites pensions). Dans tous les cas, on appellera cela «la solidarité » entre régimes. «La solidarité » ne peut être qu’à sens unique étant donné la disparité entre un système de base et un système public des retraites déficitaire et un système complémentaire excédentaire.
Inutile de dire que la solution choisie par l’Agirc-Arrco a été celle de dépenser immédiatement ce « surplus » (sans mettre en péril les réserves confortables que possède l’Agirc-Arrco, estimées à €68 milliards fin 2022). Les pensions complémentaires des retraités Agirc-Arrco seront revalorisées de 4.9% dès le début novembre 2023.
Le Gouvernement argue que cet accroissement des recettes du système complémentaire n’a rien à voir avec la gestion de l’Agirc-Arrco, mais est le résultat d’une réforme, nécessaire et impopulaire des retraites françaises, menée par le Gouvernement, donc ce surplus n’appartient pas à l’Agirc-Arrco et il ne serait pas anormal que la totalité ou du moins une partie aille à la « solidarité » entre caisses, la caisse excédentaire finançant une partie des caisses déficitaires (régime général et pourquoi pas, abonder les petites retraites). Cela montre que l’État, dès qu’il y a un surplus exceptionnel (Agirc-Arrco, UNEDIC), ne pense qu’à le dépenser quitte à invoquer des économies).
Toutes ces négociations portent sur le marginal, il y a un excédent exceptionnel, comment le dépenser? Faut-il le réserver pour son destinataire, faut-il le partager? Et pour qui? Faut-il augmenter des cotisations là et réduire ailleurs ? Faut-il raboter les allègements de charges des entreprises ? Toutes ces discussions sont un peu dérisoires compte tenu du problème posé. Elles montrent que l’État est dans une situation désespérée et cherche par tous les moyens à grappiller des sous pour financer un système de retraite à bout de souffle. Cela montre ce que dit M. Jouyet dans son dernier livre « Je n’ai jamais senti chez Chirac, Hollande, Sarkozy et Macron le moindre intérêt pour la réforme de l’État ».Cet immobilisme est conforté par une haute administration pusillanime qui, chaque fois qu’une réforme est nécessaire, répond « Est-ce bien nécessaire Monsieur le Ministre?»
Aucune réforme n’est possible sans un diagnostic, le système des retraites français repose sur la répartition, c’est-à-dire que les actifs paient pour les pensions des retraités actuels. Pour que le système soit viable, il faut que le montant des cotisations en t soit égal ou supérieur au montant des prestations la même année. Non seulement les cotisations doivent être égales aux dépenses (prestations versées) en t, mais il faut que les cotisations futures (sur au moins une génération) soient égales aux prestations futures.
Dans le cas contraire, il y a un déficit qui ne peut être financé que par des emprunts, c’est-à-dire des impôts futurs or il n’y a aucune justification éthique et économique pour que les retraités d’aujourd’hui soient financés par de la dette, c’est-à-dire par les impôts futurs que devront payer nos enfants et petits-enfants.
Le ratio clef est le nombre d’actifs (cotisants) par rapport au nombre de retraités. Or nous savons que ce ratio va en diminuant inexorablement (le ratio doit être projeté sur 30 ans). Le problème de la retraite en France (comme partout dans le monde) est un problème démographique et un problème financier. Si c’est un problème démographique, il doit être étudié sur la longue durée; or les politiques ne s’intéressent pas à la longue durée (sauf pour l’allongement de l’âge de la retraite qui est une réforme nécessaire, mais très insuffisante).
Les questions à poser, quand on parle du système des retraites, sont:
-quel est le montant total des cotisations payées par les actifs et
-quel est le montant des prestations versées ?
Or on voit bien que le débat actuel ne tourne pas sur cette question structurelle que la haute administration ne veut (ni ne peut) voir. Au lieu de cela, on discute, à perte de vue, de la répartition d’un hypothétique surplus.
Le montant des recettes du système des retraites par répartition en France s’élève en 2021 à €227 milliards (8.6% du PIB), bien entendu, dans les cotisations on ne tient pas compte des subventions de l’État en faveur de ses fonctionnaires qui, sur le plan économique, s’analysent comme des dépenses publiques (subventions). On considère que la cotisation de l’État est équivalente à celle du secteur privé en faveur de ses salariés (16% du salaire brut) (cf. Contrepoints 2023, Budget-retraite-une-illusion-d'équilibre-une-réalité-de-dette)
Les prestations totales au niveau national s’élèvent à €345 milliards, soit 13% du PIB. Le déficit du budget des retraites français est donc égal aux cotisations moins les prestations (227-345 = -118 milliards), ce n’est pas exactement le même chiffre que celui du COR, qui trouve un…surplus de 800 millions cette année. Nous ne reviendrons pas sur les âneries du COR qui est un organisme idéologique dont l’objectif consiste à montrer que le budget retraite en France est équilibré grâce aux subventions de l’État et que les retraites des fonctionnaires ne pèsent pas dans ce déficit.
Comment est couvert ce déficit? Par des subventions et des impôts:
1. Les impôts affectés représentent €46 milliards. On rappelle que dans un système normal et viable, de retraite par répartition, les prestations devraient être totalement financées par des cotisations.
2. Des subventions de l’État pour financer les retraites de ses fonctionnaires et des régimes spéciaux (46 + 7 milliards);
3. des subventions de l’État en faveur du secteur privé (€5 milliards) et
4. des transferts provenant de caisses excédentaires (€14 milliards).
On rappelle que, sur le plan économique, une subvention est une ressource pour le budget retraite (le COR s’est limité à cet aspect) et toujours une dépense pour l’État, donc quand on consolide ces deux comptes, les subventions et les transferts d’une caisse à une autre disparaissent, curieux que le COR ait un niveau aussi faible en économie.
Tableau: Le système des retraites par répartition en France n’est pas viable, il y a 100 dans les caisses et on dépense 152
Une fois le diagnostic fait, les questions à poser sont les suivantes :
-Est-ce que le système est viable à long terme ?
-Est-il normal que l’État (c. à d. les contribuables) finance, par des subventions, les retraites confortables des fonctionnaires qui sont fixées a priori en fonction de leur dernier salaire?
On n’est plus dans un système qui peut être corrigé en modulant la valeur du point d’indice, on est dans un système fou, où les prestations n’ont rien à voir avec les cotisations, cela s’appelle un système à prestation définie, les prestations ont été définies par un groupe de pression sans se préoccuper du montant dans la caisse, or si on regarde le tableau, on constate qu’il y a 100 dans la caisse (en recette) et 152 en prestations, ce n’est pas viable.
On comprend que ces discussions autour de la répartition du surplus sont dérisoires par rapport à l’enjeu. Le nœud du problème consiste à supprimer le ratio de 75% du dernier salaire pour les fonctionnaires, mais ici nous entendons les hauts fonctionnaires dire «Est-ce vraiment nécessaire, Monsieur le Ministre ? Pensez à la rue (et pensez à notre propre intérêt)».
En admettant que les gens qui décident dans notre pays aient fait le diagnostic, ils n’ont aucun intérêt à ce que ça change (non seulement ils n’ont pas intérêt, mais ils demandent que leurs retraites soient calculées sur leur dernier salaire plus leurs primes). Les retraites françaises sont financées par l’accroissement de la dette qui représente environ la moitié du déficit budgétaire français. Quelle que soit la réponse du haut fonctionnaire et de la rue, la question sera sans doute posée un jour par les marchés.
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