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L'affaire Le Pen et l'exécution provisoire

  • jpdumas007
  • 2 avr.
  • 10 min de lecture

Dernière mise à jour : 8 avr.


Source : Alamy



Jean-Pierre Dumas revu le 8 avril, 2025



Le tribunal correctionnel de Paris a condamné, le 31 mars, Mme Le Pen, à la suite de détournements de fonds publics au détriment du Parlement européen, à une peine d’inéligibilité de cinq ans avec exécution immédiate, ce qui a pour effet de l’empêcher de se présenter à des élections durant cette période ; en outre, elle est condamnée à quatre ans de prison, dont deux ferme. Les juges disent qu’ils ont appliqué la loi, rien que la loi. Néanmoins, cette décision judiciaire laisse un goût amer à beaucoup de citoyens.

 

Nous pensons que, si les juges ont appliqué la loi, ils ont choisi, parmi la panoplie des peines possibles, les peines maximales afin d’empêcher Mme Le Pen à se représenter, en cela la décision de droit prise a un caractère politique.



 1.    Les faits


La justice accuse Mme Le Pen et ses assistants d’avoir effectué des détournements de fonds du Parlement européen pour payer du personnel qui a effectué des tâches pour le RN plutôt que pour le Parlement. Ces détournements de fonds publics reprochés à Mme Le Pen et son parti sont estimés à environ 4.1 millions d’euros sur une période allant de 2004 à 2016.

 

Madame Le Pen n’a pas fait acte de contrition devant la némésis des juges. Or, même s’il n’y a pas eu enrichissement personnel, il y a bien eu détournement de fonds, Mme Le Pen a mal défendu son cas, elle aurait dû reconnaître les faits afin de tenter de minimiser leurs importances.

 

La sentence est dure : inéligibilité pendant cinq ans, exécution immédiate, quatre ans de prison, dont deux ans fermes, et une amende de 100 000 € (son parti doit payer une somme plus importante).


2.     L’argument des juges, Madame Le Pen a commis un délit grave et doit être jugée comme tous les citoyens, selon la loi.

 

Madame Lafourcade (magistrate), « La force d’une démocratie se jauge à sa capacité à faire appliquer ses principes » Le Monde, défend les Juges et la Justice. Critiquer la décision des juges dans l’affaire Le Pen consiste à renverser les valeurs. Nous, les juges, on est indépendant, nos jugements sont motivés (la preuve, ils font 152 pages…) et on juge dans la sérénité.

 

Ce n’est pas parce que madame Le Pen représente environ 10 millions de Français qu’elle est au-dessus de la loi et, comme l’assène avec fierté Mme Lafourcade, quand «l’état de droit est singulièrement malmené, la première victime est le peuple français, au nom duquel la justice est rendue » (fermez le ban).

  

 3.   Le droit ne repose pas que sur des grands principes, il faut l’appliquer


Les principes de la Justice sont : -égalité de tous devant la loi ; -on ne commente pas une décision de justice, etc.

 

Mme Le Pen est coupable, elle doit payer, même si le châtiment est son exclusion de la course présidentielle, « dura lex, sed lex » nulle n’est au-dessus de la loi, « car c’est de la violation de la loi dont il est question dans ce procès et pas d’autres choses », Magali La Fourcade. Si vous osez dire, mais elle a un potentiel de 10 millions de voix derrière elle, c’est plus que les autres candidats, si on l’empêche, cela risque de mettre en question la légitimité du candidat qui sera élu. On vous répondra que ce n’est pas parce qu’on est populaire qu’on est au-dessus des lois, ce qui est vrai.

 

Souvent, ceux qui ont les principes moraux les plus affirmés (« Nous, on a des valeurs », ce qui signifie que, si vous ne pensez pas comme eux, vous n’en avez pas) ont parfois des principes à géométrie variable. Mme Lafourcade oublie de mentionner que l’utilisation de fonds par les partis de gauche (Parti socialiste sous Mitterrand) a aussi été monnaie courante. Il est remarquable que M. Mélenchon n’ait pas été inculpé par les tribunaux de détournement de fonds ni d’utilisation personnelle des fonds parlementaires, que ce soit au niveau national ou européen. En revanche, on a remarqué la célérité d’intervention du Tribunal financier dans le cas d’un candidat de droite à l’élection présidentielle. Bizarre que la justice (et Mme Lafourcade) ne montrent pas autant d’indignation vertueuse dans ces cas.

 

Ces principes moraux sont évidents, mais peu opérationnels. Ils servent plus à se donner bonne conscience qu’à raisonner.

 

Alors, voyons comment la loi a été appliquée dans le cas Le Pen. Le juge ne fait pas la loi, il applique la loi préexistante « car c’est de la violation de la loi dont il est question dans ce procès et pas d’autres choses » (M. Lafourcade). Certes, mais la loi n’est pas univoque, il y a différente manière de l’interpréter.

 

La loi permet plusieurs degrés d’interprétation et le juge a une liberté d’appréciation dans le degré des peines à infliger. Le droit est complexe, subtil et parfois contradictoire. Le juge choisi, dans une panoplie de sentences, celles qui s’appliquent à la faute, dans le cas Le Pen, on a l'impression qu'il a choisi celles qui l’empêchaient de se représenter.

 

La peine, en cas de détournement de fonds publics, outre les amendes et la peine de prison, est assortie de l’inéligibilité de l’élu, le maximum de la peine s’élève à cinq ans (loi qui date de 1992, donc bien antérieure à la loi Sapin 2). L’inéligibilité dans le cas Le Pen était possible, elle n’était pas obligatoire. Il est exact que, depuis la loi Sapin 2 (9 décembre 2016), l’inéligibilité est devenue obligatoire en cas de détournement de fonds publics ; néanmoins, la loi Sapin 2 qui entraîne l’inéligibilité automatique ne s’applique pas au cas Le Pen, car les faits de détournement de fonds publics sont antérieurs à la promulgation de la loi. Les magistrats avaient la possibilité de prononcer une peine d’inéligibilité, ils ont opté pour la peine la plus sévère (cinq ans d’inéligibilité).  De même, les juges auraient pu limiter l’emprisonnement à un an, ce qui aurait permis à Mme Le Pen de se présenter, ils ont choisi la période de quatre ans, ce qui l’empêchait de se présenter à la prochaine élection présidentielle. Si ce n’est pas l’immixtion du juge dans la politique, qu’est-ce que c’est ? Certains observateurs, qui n’ont pas de liens avec le RN, ont émis l’hypothèse qu’il y a un biais à gauche chez certains membres du corps judiciaire.

 

Les commentateurs n’ont pas manqué d’ironiser sur le fait que le parti de Mme Le Pen était en faveur de la loi de 2016 qui réclamait l’inéligibilité d’un candidat à l’élection en cas de corruption, il est aujourd’hui pris à son propre piège et crie au déni de démocratie.

 

Mais cette peine maximum à l’encontre de Mme Le Pen n’était pas suffisante.

 

4.    L’exécution provisoire n’est pas la règle dans le droit pénal


« On est arrivé à un point où on vide de sa substance l’appel. Le droit d’appel, le double degré de juridiction, c’est un droit fondamental »,

Francis Szpiner, Sénateur LR


Le tribunal correctionnel a assorti l’inéligibilité de l’exécution provisoire. L’exécution provisoire (en anglais : “immediate effect’’) est une mesure prévue dans le Code pénal (qui n’a rien à voir avec la loi Sapin 2) qui permet de rendre exécutoires les décisions rendues en première instance avant qu’elles ne deviennent définitives. Cela signifie que l’inéligibilité pour cinq ans de Mme Le Pen est exécutoire immédiatement.

 

L’exécution provisoire ne supprime pas la possibilité d’appel, mais dans la mesure où l’appel a pour effet de suspendre l’exécution de la décision rendue par le tribunal de première instance, et comme la durée de l’appel est longue et incertaine en France, il y avait un risque que Mme Le Pen puisse être élue avant l’ouverture de son jugement à la Cour d’appel. En prononçant l’exécution provisoire de la sentence d’inéligibilité, le juge rendait caduque toute élection de Mme Le Pen.

 

Or, les juges n’étaient pas obligés de prononcer l’exécution provisoire, en effet l’exécution provisoire au pénal est l’exception. En droit pénal, le principe est la présomption d’innocence. Néanmoins, pour les personnes ayant commis un crime, le juge peut, pour éviter la récidive, prononcer la détention provisoire avec mandat de dépôt. À notre connaissance, Mme Le Pen n’a pas commis de crime ni d’enrichissement personnel. Rien ne justifiait, sur le plan légal, le recours par le juge de l’exécution provisoire.

 

Les juges ont eu recours à des arguments peu convaincants pour justifier l’application de l’exécution provisoire : — risque de récidive : risque nul. - Menace à l’ordre public, n’est-ce pas une manière déguisée d’écarter un/e candidat qui ne correspond pas à l’idéal des juges ?

 

Autre argument des juges : il y a un engorgement des cours d’appel… « On manque de moyens », effectivement, la justice (comme l’armée) dispose d’un budget très faible. En termes économiques, ces services constituent des « biens  publics » qui devraient figurer en tête des priorités budgétaires, surtout à l’heure actuelle ; cependant, en France, la priorité est accordée aux « biens sociaux » (il est étonnant que, dans le pays qui a le ratio le plus élevé des dépenses publiques, la part consacrée aux biens publics (défense, justice) soit aussi faible au détriment de la part consacrée aux biens sociaux (santé, éducation, pensions. Cela montre bien la préférence des Français : tout pour le social, la portion congrue pour le régalien). Autrement dit, on justifie un déni de justice par manque de moyens de la Justice, argument bien léger. Si Jacques Chirac a été jugé 22 ans après les faits, ce n’est pas la faute du prévenu, mais de la Justice qui est intrinsèquement lente.

 

L’exécution provisoire d’une peine au pénal (sauf en cas de meurtre, de vol ou viol) ordonnée en première instance est un déni de justice. En effet, elle a pour effet de figer la décision du tribunal de première instance. Dans une démocratie, tous les justiciables, y compris les politiques de droite, ont droit à un second jugement. En actionnant l’exécution provisoire, les juges savaient parfaitement qu’ils tuaient dans l’œuf la candidature de Mme Le Pen à la présidence. C’est une décision de justice qui ressemble furieusement à une décision politique.

 

Elle porte aussi atteinte à la présomption d’innocence. Un élu peut être relaxé en deuxième instance et rester condamné par l’application de l’exécution provisoire en première instance (F. Szpiner). Cette exécution provisoire est un déni de démocratie et ça permet à de grands démocrates, comme Dmitry Peskov, porte-parole de V. Poutine, Trump, Orbán, Mateo Salvini, Geert Wilders, de se moquer de la démocratie française.

 

Dans la mesure où les magistrats ont jugé Mme Le Pen en partant de la loi de 1992 (pas de la loi Sapin 2), ils ont veillé à fixer le curseur au maximum. Il semble que, dans ce cas, les juges se sont bien gardés d’apprécier « le poids respectif des éléments à charge et à décharge », c’est l’essence même du beau métier de juge. Ils ont recherché la peine maximale dans le but d’empêcher l’accusée de se présenter aux élections présidentielles. Ils ont ainsi manqué à leurs responsabilités et abusé de leur autorité, qui les rend ivres de puissance («Ah! Ma chère, savez-vous qu’aujourd’hui, j’ai envoyé un patron du CAC 40 en prison, il était corrompu » « Ah! Mon cher, figurez-vous que j’ai mis en examen un candidat à la présidence de la République » « Figurez-vous, ma chère, que j’ai fait incarcérer un ancien Président »). Quel plaisir, quelle jouissance!

 

Ce qui est inquiétant, c’est que ce n’est pas la première fois que ça arrive, c’est non seulement récurrent, mais toujours dans le même sens (Fillon, Sarkozy). Tous condamnés certes pour des fautes plus ou moins graves, mais toujours au maximum afin de ruiner leurs ambitions politiques, donc privés de la sanction populaire (qui reste les urnes).

 

Les fautes dont on accuse Mme Le Pen sont sérieuses, mais ne semblent pas suffisantes pour empêcher les électeurs de choisir par eux-mêmes le candidat qui doit recevoir leur vote. S’il y a eu détournement de fonds avéré, il n’y a pas eu de crimes (au sens français du terme), il n’y a pas eu d’enrichissement personnel de la part de Mme Le Pen, il n’y a pas eu de haute trahison (idem pour F. Fillon, A. Juppé et N. Sarkozy).

 

Il faut croire que la Cour d’appel de Paris, en déclarant, le lendemain du procès en correctionnelle, que l’appel pourrait avoir lieu dès l’été 2026, reconnaissait implicitement que le tribunal correctionnel avait sans doute abusé de son pouvoir.

 


5.    A-t-on le droit de critiquer une décision de justice?


Nous, les Juges « on rend la Justice au nom du Peuple français », on est donc au-dessus de toutes critiques. Mme Lafourcade fait semblant de confondre les menaces sur les juges et critiquer une décision de justice. Le Président de la Cour d’appel de Paris ne fait pas cette confusion, « dans un état de droit, la critique d’une décision de justice ne peut en aucun cas s’exprimer par des menaces à l’égard des magistrats ». Certes, mais cela ne signifie pas qu’on ne puisse pas critiquer une décision de justice, dans le cas contraire, cela signifierait que les juges ne pourraient jamais se tromper; or, les erreurs judiciaires peuvent avoir lieu. Et puis, quoi qu’en pense Mme Lafourcade, les juges peuvent être influencés par leurs sentiments et opinions politiques. « Le mur des cons », exhibé par un syndicat de magistrats, est révélateur d’un état d’esprit incompatible avec une justice impartiale. Si ce mur n’est plus visible, il n’a pas disparu dans la mentalité de certains juges. Il y a toujours des hommes ou des femmes (de préférence à droite) à abattre en utilisant, bien sûr, l’arsenal juridique en vigueur.

 

Mais pour Mme Lafourcade, c’est impossible « le juge est un gardien résolu de l’État de droit », ce qui ne l’empêche pas de reconnaître que le juge peut avoir une « impartialité à la fois subjective et objective », voilà un nouveau concept juridique, une « impartialité subjective »…

 

6.    Le métier le plus contrôlé de France ?


Mme Lafourcade s’égare quand elle dit que les juges ont le métier le plus contrôlé de France, les juges sont libres et ont parfois tendance à abuser de cette liberté, souvent dans la même direction. Ce qui pose problème, c’est leur revendication d’indépendance (légitime) et leur propension à intervenir dans le pouvoir exécutif.

 

Qui, à l’heure actuelle, contrôle la rectitude et la cohérence des décisions des juges ? C’est une des rares professions qui considère qu’elle n’a pas de comptes à rendre, puisqu’elle dit le droit. Le Conseil Supérieur de la Magistrature peut théoriquement intervenir en cas de manquements graves (le fait-il ? Ce cas ne sera certainement pas considéré comme un abus de pouvoir). La Cour de cassation intervient sur les décisions de droit, en cas de non-respect des règles du droit. Quant à l’uniformité de la jurisprudence, la tendance est un durcissement pour les délits politiques (de préférence quand ils sont commis à droite). Dans ce cas, si le texte de la loi est respecté, il n’en est pas nécessairement de l’esprit de la loi. Comme le disent des personnalités de gauche et de droite, une personne politique se combat dans les urnes, et non dans les tribunaux.

 

P.S. Inutile de dire que je n’appartiens pas au RN et que je n’ai pas l’intention de voter ni pour M. Le Pen ni pour son second.

  

 
 
 

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