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Poutine est en train de perdre

Dernière mise à jour : 14 mars 2022



Jean-Pierre Dumas

lundi 28 février 2022

revu le 13 mars 2022



Certains disent que finalement l’Europe n’a que ce qu’elle mérite ; devant son indécision et son armement très insuffisant, Poutine a cru que l’Europe était décadente et a pris la folle décision d’envahir militairement le 24 février un pays qu’il considère comme faisant partie intégrante de son pays (cf. Fondapol, La-Russie-na-pas-seulement-defié-l'Occident-elle-a-montré-que-l'ère-de-la-domination-occidentale-mondiale-peut-etre-considerée-comme-complètement-et-définitivement-revolue. Il a sous-estimé la rapidité et la détermination des États-Unis et de l’Europe de prendre des sanctions extraordinaires contre un dictateur qui ne respecte rien. Le monde occidental est en train de démontrer que des sanctions financières, quand elles sont prises dans leur totalité et à l’unanimité, peuvent avoir un effet puissant. Seront-elles suffisantes à faire plier un adversaire qui semble avoir perdu la raison et croit en un pouvoir absolu qui repose sur une armée et une police la plus redoutable au monde ? Personne ne peut aujourd’hui répondre à cette question, nous nous limitons dans cet essai à mesurer l’efficacité des mesures prises par l’Occident contre la Russie de Poutine.


1 La Russie représente 3% du PIB mondial, six fois moins que la Chine

Si la Russie, qui a la seconde armée du monde, est considérée comme un producteur majeur de matières premières, elle n’en demeure pas moins, sur le plan économique, un tigre de papier. Le poids de la Russie dans le monde est tout à fait marginal, 3% du PIB mondial (en termes de PPA) (légèrement inférieur à celui de l’Allemagne, alors que la Russie a une population quasi deux fois supérieure).


Figure 1 Part du PIB de la Russie dans le PIB mondial

Source : IMF/WEO/Oct. 2021


La Russie n’appartient pas au G7 ni au groupe des pays « avancés » tel que défini par le FMI. Elle est considérée comme appartenant au groupe des pays émergents européens avec l’Ukraine.


La Russie a une économie de pays exportateur de produits primaires (pétrole, gaz, minerais, céréales) et ses revenus varient au gré des fluctuations du prix de ces matières premières. L’économie russe est caractérisée par un niveau d’investissement faible (c’est une économie dont les ressources sont consacrées à l’armée), sa population active est âgée et diminue, la corruption et le népotisme font partie intégrante du système instauré par Poutine.


2 Les sanctions économiques et financières imposées à la Russie sont très efficaces

On peut distinguer trois niveaux dans les sanctions imposées à la Russie : dans l’ordre décroissant, 1) Gel des réserves de la Banque Centrale de Russie (BCR) ; 2) sanctions contre les banques commerciales et; 3) sanctions contre les avoirs des oligarques russes à l’étranger.


La décision de geler les avoirs extérieurs (les devises officielles) de la Russie va toucher au cœur l’économie russe.

Les États-Unis, la France, l’Allemagne, l’Italie, le RU, la Suisse, le Canada, l’Australie et le Japon ont déclaré qu’ils allaient bloquer le stock de réserves de la Banque Centrale Russe (BCR) (environ $630 milliards dont $132 milliards en or), ce qui représente environ 21 mois d’importation, ce qui est considérable. Cette sanction est sans doute la plus lourde et la plus efficace contre la Russie. C’est la première fois que le groupe des 7 prend unanimement une décision aussi forte contre un pays majeur.


La Russie, dans l’anticipation d’une crise avec les États-Unis, avait réduit en 2018 leurs réserves en dollars (16% de ses réserves aujourd’hui) pour accroître la part en euro (32%), en yuan chinois (14%) et en or (23%), elle n’avait pas prévu la détermination des pays européens qui ont décidé de suivre les États-Unis dans le gel des devises de la Russie.


Figure 2 Composition des avoirs extérieurs de la Russie


Il faut ici introduire une parenthèse sur le fonctionnement du marché des changes pour comprendre l’importance de la mesure. En effet, les réserves de change des banques centrales (BC) ne sont pas déposées dans le coffre de la banque centrale du pays. Ces réserves exprimées en devises (cf. Figure 2) sont déposées dans les grandes banques centrales du monde sous forme d’avoirs financiers (bons du Trésor ou dépôts bancaires). Ces réserves peuvent servir de matelas de sécurité pour la BC pour: a) financer des importations, b) financer le service de la dette en devises ou c) soutenir la monnaie nationale quand elle chute pour des raisons momentanées. C’est la raison pour laquelle toutes les BC possèdent des montants plus ou moins importants de réserves dans le monde pour influencer (à la marge) le prix de leur monnaie nationale. Ces réserves de change ou avoirs extérieurs sont détenues sous forme d’actifs financiers surs (“high grade securities’’) (bons du Trésor) ; au niveau mondial, 60% des réserves de change sont détenues en avoirs libellés en dollars, 20% en euros.


Les avoirs extérieurs d’un pays, ses réserves de change, sont bien des actifs de ce pays, mais ils ne se situent pas dans le pays (en l’occurrence la Russie), mais dans les pays où sont localisées ces réserves. Pour mobiliser des dollars, la BC d’un pays doit obligatoirement passer par le marché des changes (brokers, banques correspondantes) situé aux États-Unis ou en Europe. Ces correspondants bancaires sont contrôlés par les autorités monétaires de leurs pays.


Quand la Banque Centrale de la Russie (BCR), dont la monnaie est attaquée par les marchés, essaie de défendre sa monnaie, elle va vendre des devises (des dollars) contre sa monnaie (le rouble). Pour ce faire, elle va vendre ses actifs financiers liquides (bons du Trésor américain par ex.) qu’elle détient aux États-Unis, en contrepartie de cette vente de bons du Trésor US, la BCR sera créditée en dollar à son compte qu’elle a chez son agent (“broker’’) situé à New York. Les avoirs de la BCR ne quittent pas le territoire américain. La BCR avec ses avoirs en dollars va les vendre pour acheter sa propre monnaie. La banque qui vend des roubles est en général une banque russe qui va demander à la BCR de débiter ses réserves à la BCR, en contrepartie, la BCR va donner instruction à sa banque correspondante à New York de créditer le compte de la banque commerciale russe en dollars. Toutes ces opérations financières complexes entre la BCR, les intermédiaires financiers (“dealers’’), les banques correspondants se font sur les grandes places financières (New York, Londres, Francfort, Paris) pas à Moscou. Si ces pays (et en particulier le plus important d’entre eux) interdisent aux banques internationales de faire des affaires avec la BCR, tous les correspondants qui étaient en relation avec la BCR vont couper leurs liens avec cette dernière. La BCR devient hors système financier international même si elle possède des avoirs confortables en réserves de change.


S’il y a accord des grands pays pour empêcher la BCR d’utiliser les marchés des changes pour utiliser ses réserves, alors la Russie n’est plus en mesure d’utiliser ses avoirs extérieurs. La BCR est bloquée (“cornered’’), elle est coupée du monde de la finance internationale. C’est sans doute une des sanctions financières les plus efficaces qui soient.


Cette mesure (qui est juridiquement illégale puisqu’elle consiste à geler des avoirs extérieurs d’une BC) va être d’une efficacité redoutable pour limiter le pouvoir d’importer de la Russie et l’empêcher de contourner les sanctions. Les agents russes (et non russes) qui possèdent des avoirs libellés en rouble vont les échanger (dans la mesure du possible en dollars), c’est la fuite des capitaux. Le rouble va s’effondrer. La BC russe ne pourra alors, pour défendre le rouble, qu’accroître ses taux d’intérêt, contrôler les sorties de capitaux ou vendre une partie de son stock d’or (2300 tonnes) (à qui?)


· Le deuxième degré dans les sanctions est la déconnexion des banques russes du système interbancaire

En effet, il n’y a pas d’interdiction d’importer du pétrole et du gaz russe du moins en Europe; alors si on laisse les agents européens et américains continuer à acheter les matières premières russes alors que la Russie fait la guerre en Europe, on fournit des devises à la Russie.


24 heures après que V. Poutine ait signé un décret reconnaissant les deux territoires ukrainiens, Donetsk et Luhansk (le 21 févr.), les entreprises de l’UE, le RU et les États-Unis, prévoyant le débranchement des banques russes de SWIFT, ont acheté pour 3.5 millions de barils de pétrole à la Russie ($350 millions), et pour environ $250 millions de gaz russe, plus de l’aluminium, du charbon, du nickel, du titane et de l’or (pour environ $700 millions) (source : J. Blas, Bloomberg, Feb. 23, 2022). Pour cette raison, il est important d’interdire (ou du moins de limiter les paiements en dollars aux fournisseurs russes) par l’interdiction des correspondants bancaires à opérer avec des banques russes.


Il y a une confusion avec SWIFT (“Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication’’), SWIFT est seulement un système centralisé qui permet de connecter toutes les banques du monde entre elles. Il permet la circulation de trilliards de dollars chaque jour dans le monde. C’est un système efficace et rapide, mais ce qui est important ce n’est pas SWIFT. Un pays peut très bien continuer à faire du commerce sans passer par SWIFT, ça sera plus long et plus onéreux. Ce qui est important dans la tuyauterie financière internationale, ce sont les correspondants bancaires.


En fait, la mesure la plus importante consiste à interdire aux banques russes d’avoir accès à leurs correspondants bancaires aux États-Unis et en Europe. Le Gouvernement des États-Unis interdit à toutes les institutions financières américaines d’opérer des transactions avec des banques russes nommées. En effet, quand une société exporte du pétrole, elle est payée en dollars. Ces paiements en dollars sont faits entre des entreprises qui n’ont pas nécessairement la même banque, alors elles doivent passer par l’intermédiaire de correspondants bancaires qui ont un compte aux États-Unis et qui relèvent des autorités bancaires américaines. Par ex. si une société russe exporte du pétrole à un acheteur européen, la vente s’effectue en dollars. L’acheteur fera un transfert en dollar de sa banque à celui du vendeur. Il est improbable que le vendeur et l’acheteur aient la même banque, ils utilisent une institution financière intermédiaire, un correspondant bancaire. Ces correspondants bancaires se situent pour la plupart aux États-Unis et dépendent de la juridiction américaine. Si l’autorité américaine interdit à ces correspondants américains de mener toutes transactions en dollars avec une banque déterminée, alors les banques russes ne peuvent plus payer ni recevoir des devises par le système bancaire international. Ça consiste à quasiment empêcher la Russie de vendre son gaz et son pétrole.


Les États-Unis ont interdit les banques russes, y compris les plus grosses banques : Sberbank, et VTB bank. Elles n’ont plus de correspondants bancaires aux États-Unis (cf. Tableau 1), cela signifie qu’elles sont hors le système dollar. Elles ne peuvent ni payer ni recevoir des dollars. Sberbank est la plus grosse banque russe, la moitié des ménages russes ont un compte avec cette banque. Elle ne peut plus fonctionner aux États-Unis.


L’Allemagne, par sa politique énergétique qui repose sur le gaz (et le charbon), est dépendante de la Russie pour ses importations de gaz. Elle a demandé aux États-Unis d’exclure Gazprombank des sanctions (qui est une banque qui appartient à Gazprom et est impliquée dans les contrats pétroliers et gaziers) dans la liste des banques sanctionnées. L’Europe veut se réserver la possibilité d’importer du pétrole et du gaz en utilisant ces banques. Pour résumer, Gazprombank n’est pas sanctionnée par les États-Unis et l’Europe (ne figure pas dans le tableau 1). La branche européenne de Sberbank, la plus grosse banque de dépôt russe, est liquidée.


Tableau 1 Situation des banques russes vis-à-vis des États-Unis du RU et de l’UE

Source : Bloomberg : 1 mars 2022, A. Nardelli, N. Chrysoloras, & J. Follain

Note : Sberbank Europe en faillite


La majeure partie des banques russes ont été déconnectées du système SWIFT. Les pays de l’UE ont exclu sept banques du système SWIFT.


La Russie peut utiliser un système parallèle à SWIFT, néanmoins la plupart des banques intermédiaires ne souhaiteront pas être interdites sur le marché des États-Unis en mettant en œuvre des paiements en faveur d’un pays qui s’est mis hors la loi aux US.


Les conséquences de ces deux mesures (gel des avoirs extérieurs de la BCR et impossibilité d’utiliser les correspondants bancaires situés aux États-Unis et en Europe) sont extraordinaires. La Russie va être déconnectée du système financier international, la BCR ne pourra plus utiliser ses réserves de change pour défendre sa monnaie (qui dégringole). Le dollar valait 84 roubles le 24 février, il vaut 134 roubles le 13 mars. La BCR a augmenté le taux BC à 20% (28 févr..) contre 9.5%. Les entreprises exportatrices russes ne pourront pas être payées, la BCR ne pourra pas fournir des devises aux banques russes qui ont des dettes en devises ; cela va entraîner des défauts. Elle ne pourra pas recevoir des paiements en devises de la part des banques russes, empêchant toute possibilité d’échapper aux sanctions. Les agents russes vont sortir en masse leurs dépôts des banques, dépôts qui risquent d’être gelés ou la BCR va alimenter en roubles les banques au risque d’une hyperinflation.


La dépréciation du rouble renchérit les importations et rend le paiement de la dette externe pratiquement impossible.


La BCR ne pourra pas fournir des devises aux banques russes qui ont des dettes en devises ; cela va entraîner des défauts de paiements. La Russie va rembourser ses dettes externes en roubles, ce qui n’est pas très utile sur le plan international. Les bons russes s’échangent aujourd’hui à 20% de leur valeur (“20 cents on the dollar’’).


· Un effet positif non vu

Les États-Unis envoient un signal fort à la Chine, si vous envahissez Taïwan il peut vous arriver la même chose, un gel de vos avoirs extérieurs dans le monde. Ils représentent $3.3 trilliards, le niveau le plus élevé du monde. La Chine ne dit rien, mais ne peut pas ne pas être impressionnée par la détermination de l’Ouest.


3 Hausse du dollar

Il faut s’attendre à une hausse du dollar sur le marché des changes. Hausse qui peut s’accentuer si la Fed augmente ses taux pour réduire l’inflation. La Fed devra arbitrer devant son désir de lutter contre l’inflation par la hausse des taux directeurs et satisfaire la demande pour le dollar.


L’idée que le yuan puisse devenir une monnaie clef entrant en compétition avec le dollar semble présomptueuse. Pour qu’un pays ait une monnaie clef, il faut que sa monnaie soit acceptée comme moyen d’échange et soit considérée comme réserve de valeur dans le monde entier et que son marché financier soit ouvert, ce n’est pas le cas actuel en Chine.


Ce n’est pas en constituant une zone yuan composée de pays comme la Russie, la Corée du Nord, l’Iran, le Venezuela et Cuba que le yuan va obtenir un statut international.


4 Il y aura aussi des conséquences inévitablement négatives pour l’Europe

Le prix du pétrole et du gaz va augmenter (nouveau choc pétrolier), pénalisant les pays qui se fournissent en gaz pour produire leur électricité et l’inflation n’est pas prête à diminuer (stagflation). Les prix des produits à base de céréale vont augmenter. Les entreprises européennes qui ont investi en Russie ne pourront exporter leurs capitaux (Total), leurs actions vont plonger. Les banques européennes qui ont des créances sur les résidents russes risquent de les perdre (la SG en France est exposée sur la Russie).


Ces mesures mettent la Russie au même niveau que Cuba, l’Iran, le Venezuela ou l’Afghanistan. La Russie n’aura pas d’autres options que de commercer vers la Chine (et quelques pays asiatiques). La Russie risque de trouver peu d’accord même avec la Chine son « allié », en effet, privée de devises fortes, la Russie ne pourra entrer dans le commerce avec la Chine que sur la base du troc : pétrole et gaz contre yuan. La Russie risque fort d’être un partenaire secondaire si elle s’allie à un pays six fois plus puissant et ayant comme seule monnaie d’échange ses matières premières. Les banques chinoises qui ont pignon sur rue (qui sont installées aux États Unis), ne vont pas risquer de perdre leur licence aux États Unis pour faciliter le commerce avec une banque russe.


Enfin, il faut remercier Poutine

qui a permis de rassembler l’Occident et l’Europe autour de quelques valeurs fondamentales :

-quels que soient les frustrations et le désir de revanche de Poutine, il a montré son vrai visage « a killer » et un dictateur, il faut lui dire, ça suffit ;

-il a démontré que l’Ukraine n’est pas une province russe, mais un pays prêt à se battre pour son indépendance et dirigé par un Président courageux et patriote ;

-il a fait comprendre « aux pacifistes » que les dépenses militaires ne sont pas des dépenses inutiles, elles servent à se défendre dans un univers hostile,

-il a fait comprendre à certains Européens que les États-Unis ne sont pas les défenseurs naturels de l’Europe, que les pays d’Europe (y compris l’Allemagne) doivent prendre en charge leur propre défense;

-l’Allemagne va enfin accroître son budget de la défense ; et

-le Traité de l’Atlantique Nord n’est pas un « cerveau mort », mais un organisme de défense mutuelle contre un ennemi qui reste la Russie.


Poutine est tellement furieux contre les sanctions économiques et financières qui lui sont imposées et par la résistance courageuse du peuple ukrainien qu’il cherche l’escalade en invoquant l’utilisation potentielle de l’arme suprême. Ce n’est pas une raison pour limiter les sanctions. La Chine et l’Inde doivent être appelées à la table des gens rationnels. Poutine dépend de Xi Jinping, c’est l’interlocuteur qui peut avoir le plus d’influence sur lui. Ce n’est pas l’intérêt de la Chine de voir se transformer l’Europe en champs de bataille nucléaire.



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