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Le retour des “bond vigilantes’’ ou est-ce que les taux longs vont continuer à augmenter ?

Dernière mise à jour : 26 oct. 2023



Les écologistes font de la politique monétaire

Source : Bess Adler/Bloomberg



Jean-Pierre Dumas

vendredi 20 octobre 2023



We don’t really know why longer-term bond yields are shooting higher’’

Un banquier central



À la hausse des taux d’intérêt directeurs, par les banques centrales pour lutter contre l’inflation, a succédé la hausse des taux à long terme (à 10 ans) sur les marchés. Les taux à 10 ans sur les marchés atteignent maintenant (20 octobre 2023) 5% aux États-Unis et 3.8% seulement dans la zone euro (ZE).


Nous pensons qu’avec la fin de la politique du “quantitative easing’’ (QE) menée par les grandes banques centrales (BC) les marchés (les “bond vigilantes’’) vont reprendre la main et que la hausse des taux longs n’est pas terminée, d’autant plus que les taux longs sont égaux au taux à trois mois. On est passé d’un monde à taux zéro à un monde où les taux d’intérêt vont être élevés et positifs en termes réels.


Avertissement : Dans le domaine de la finance, il est difficile de ne pas utiliser un vocabulaire anglais pour mentionner des concepts financiers qui sont difficilement traduisibles en français, aussi nous garderons les concepts spécifiques, qui viennent de la culture anglo-saxonne, en anglais, en revanche, nous bannirons l’usage de l’anglais pour les mots courants qui existent en français.


Avant de parler des “bond vigilantes’’ il faut connaître le fonctionnement du marché des bons du Trésor.


  • Comment fonctionne le marché des obligations d’État?

Les bons du Trésor sont des actifs financiers qui sont vendus par les États pour financer leur déficit budgétaire. Plus un État a un déficit budgétaire élevé, plus il émet des bons qu’il vend à des intermédiaires financiers (banques, compagnies d’assurance, fonds) qui à leur tour peuvent les revendre sur les marchés secondaires. Leurs prix sur les marchés diffèrent du prix nominal ou facial, ils varient en fonction de l’offre et de la demande. Si un bon est émis à €1000 par un État, il peut se revendre plus cher que sa valeur nominale, si la demande est supérieure à l’offre ou moins cher dans le cas contraire.


Si le prix d’un bon varie en fonction de l’offre et de la demande, son taux d’intérêt ou plutôt son rendement (“yield to maturity’’) varie aussi, mais en sens inverse. Prenons un exemple, le trésor a émis un bon à 10 ans à une valeur faciale de €1000, ce bon rapporte un taux d’intérêt annuel de 3.4%, donc l’État emprunteur s’engage à payer à son détenteur €34 chaque année et rembourser le principal et les intérêts la dixième année (€1034). L’agent qui l’a acheté le revend sur le marché, il va le revendre au prix du marché (qui n’est pas nécessairement égal à 1000), il le revend à par ex. €940. Quel sera son taux d’intérêt ? Il ne sera pas égal à 3.4%, il sera égal à l’intérêt annuel versé par l’État qui est égal à €34 (l’État versera pendant 10 ans le même intérêt, quelles que soient les variations du prix du bon sur les marchés). Il recevra donc €34 par an divisé par son prix d’achat du bon, €940, donc le taux d’intérêt (ou rendement) pour cet acheteur sera 34/940 = 3.62% au lieu de 3.4% (le taux de rentabilité interne de cet investissement sur 10 ans est de 4.1%, au lieu de 3.4%). La valeur du bon a baissé, son rendement (“yield’’) a augmenté. C’est une loi de la finance, quand le prix d’un bon diminue, son rendement augmente et vice versa.


  • Les années 2000 ont été des années bénies pour les agences du Trésor des pays riches

Elles ont émis des bons à jet continu pour financer des déficits budgétaires, ces bons ont été achetés « indirectement » par les banques centrales (Fed, BCE, BoJ, BoE) par leur politique du “quantitative easing’’ (QE). Certes, les banques centrales (BC) n’ont pas le droit d’acheter directement aux Trésors leurs bons, mais elles peuvent acheter les bons sur les marchés secondaires au prix du marché. Cette politique, d’achat systématique et à grande échelle de bons du trésor, pratiquée par les grandes BC a entraîné des distorsions sur les prix du marché (distorsions non vues par les initiateurs de cette politique (B. Bernanke, M. Draghi). En achetant massivement et pratiquement sans limite les bons sur les marchés depuis novembre 2008 pour la Fed et mars 2015 pour la BCE, les BC ont maintenu les prix des bons sur le marché à des prix artificiellement élevés et donc les taux des bons ont baissé dans tous les pays riches (cf. figure 1).


Figure 1 Depuis 1980, les rendements des bons du Trésor ont diminué

Source : Fred


Pendant la période du QE (de novembre 2008 à mars 2022 aux États-Unis), les taux longs (à 10 ans) des bons du Trésor américain atteignaient en moyenne 2.3% et 0.8% pour la zone euro (de mars 2015 à juin 2022). De tels taux, aussi bas surtout pour la ZE, n’auraient jamais pu avoir lieu sans l’intervention des BC qui ont acheté massivement des bons du trésor sur les marchés (cf. figure 2).


Figure 2 Depuis 2020/21 les taux longs augmentent pour atteindre 5% aux États-Unis

Source : Fred


La baisse artificielle des taux sur les marchés a lancé le signal que la dette était sans coût et donc les États pouvaient recourir à de l’endettement sans avoir à accroître les impôts puisque leurs taux étaient inférieurs au taux de croissance (O. Blanchard), ce qui est et était évidemment faux (cf. https://www.jpdumas007.com/post/quelques-remarques-sur-le-cadre-de-viabilité-de-la-dette-de-la-bm-et-du-fmi).


Quand les BC achètent tous les bons émis par les États sur les marchés, ils font les prix et donc les taux, ce ne sont pas les marchés qui décidaient des taux, mais les BC. Quand les BC commencent à comprendre (avec retard) que l’inflation est largement due à l’achat de bons du trésor sous la politique du QE et qu’elles commencent à l’arrêter en mars 2022 pour la Fed et en juin 2022 pour la BCE, alors les marchés reprennent la main et les “bond vigilantes’’ sont de retour.


  • Qu’est-ce que les “bond vigilantes’’ ?

Ce sont les méchants spéculateurs. Les financiers qui achètent (ou qui vendent) les bons du Trésor d’un État. Le terme “bond vigilantes’’ (nous n’avons pas eu le temps de demander à l’Académie française comment traduire ce terme en français) a été inventé en 1983 par Ed Yardeni, un banquier d’affaires. Sa thèse est que si les autorités budgétaires (les ministres des finances) ne sont pas capables de contrôler les finances publiques, les marchés s’en chargeront.


Si les États étaient capables de comprendre les signaux du marché, la politique des déficits permanents devrait être terminée. Les taux remontent à cause de la politique monétaire des BC (hausse des taux directeurs et arrêt de la politique du QE) et des déficits abyssaux qui doivent être financés par des émissions de bons. Les États se refinancent à des taux de plus en plus élevés (ils sont positifs en termes réels aux États-Unis, mais, pour le moment, négatifs en Europe). Les taux à 10 ans le 20 octobre 2023 atteignaient 5% aux États-Unis, le taux le plus élevé depuis 2007, en Europe, 2.9% le taux le plus élevé depuis 2011.


Tableau 1 Les taux réels à 10 ans sont encore négatifs en Europe, mais pas pour longtemps


Alors que les BC n’interviennent plus sur le marché des bons du Trésor (avec la BCE des exceptions sont toujours possibles), les “bond vigilantes’’ devraient jouer leur rôle régulateur, c.-à-d. vendre (ou refuser d’acheter), quand les gouvernements font des politiques budgétaires irresponsables et que la dette devient de plus en plus insoutenable. La vente des bons, par les ministères des finances ,entraîne la baisse de leur valeur et donc la hausse des taux (que nous constatons et qui n’est pas terminée) et devrait obliger les États surendettés à commencer à avoir un surplus primaire.


Les États-Unis et la France continuent à faire du déficit comme si rien n’avait changé, ils vont commencer à se rendre compte du coût de l’endettement quand les dépenses d’intérêt dépasseront les dépenses du budget de la santé, de l’éducation et de…la vieillesse.


  • Est-ce que les “bond vigilantes’’ jouent un rôle important sur les taux ?

Ils peuvent et ont joué un rôle important en Suède et aux États-Unis (cf. Bloomberg, “Why Bond Vigilantes Are Stirring as US Deficit Swells’’ October 13, 2023). En Suède, un investisseur, qui contrôlait, dans les années 90, $6 milliards de bons de l’État suédois, a annoncé en 1994 qu’étant donné le niveau des déficits budgétaires en Suède (13% du PIB), il refusait d’acheter de la dette suédoise tant que l’État suédois ne remettait pas en ordre sa politique budgétaire. Les taux ont monté à 11%, l’État a réduit les déficits en baissant les dépenses publiques d’une manière déterminée, faisant de la Suède un des pays les plus dynamiques (la France ferait bien de s’inspirer du modèle suédois qui est remarquable, cf. figure 3).


Figure 3 La Suède a su passer d’un ratio des dépenses publiques de 68% du PIB en 1993 à 47% en 2022, la France augmente le poids des dépenses publiques et dépasse la Suède en 2001. Le ratio des dépenses publiques françaises est 10 points supérieurs au ratio suédois (on n’a pas réussi à démontrer que le modèle social suédois était inférieur au modèle français)

Source: IMF/WEO


Aux États-Unis, les “bond vigilantes’’ ont obligé le Président Clinton de réduire son programme ambitieux de dépenses et de réduction d’impôt. Clinton était furieux que sa politique économique soit contrainte par les marchés. B. Woodward, dans son livre “The Agenda’’, écrit que Clinton aurait dit : “You mean to tell me that the success of the economic program and my re-election hinges on the Federal Reserve and a bunch of f—-ing bond traders?”


  • Les “bond vigilantes’’ et le “term premium’’

Comment estimer le rôle des bond vigilantes ? Il n’y a pas de manière précise de quantifier leur influence. On peut la mesurer en se référant au “term premium’’.


Le “term premium’’ est la différence que demande un agent pour investir à long terme au lieu d’investir dans une série d’obligations à court terme. Il tient compte du fait que les taux peuvent varier durant la période d’un bon. Plus le “term premium’’ est élevé, plus les investisseurs sont sur la défensive, ils spéculent à baisse des bons, donc ils vendent et les taux montent.


Or pour l’instant (octobre) le taux à long terme augmente, le taux à 10 ans a atteint 5% ; c’est la première fois depuis 2007 qu’on atteint un tel niveau (cf. figure 2). Or aux États Unis, le taux à 10 ans (5%) est inférieur aux taux à 3 mois (5.6%) et inférieur au taux à 2 ans (inversion de la courbe des rendements).


Dans la ZE, le taux à 10 ans est identique au taux à 3 mois… Si les “bond vigilantes’’ sont à l’œuvre, les taux longs devraient encore augmenter et être plus élevés que les taux courts. (cf. tableau 2 & Figure 4).


Tableau 2 L’écart entre les taux des bons à 10 ans et à 3 mois est faible dans la ZE

Source : Fred

Note : le taux d’intérêt à 10 ans a augmenté de 30 points de base la semaine du 16 octobre pour atteindre près de 5%.



Figure 4 Sur la longue durée, les taux à 10 ans sont supérieurs au taux à 3 mois (sauf à partir de la fin de 2022).


Figure 5 The yield curve for the euro area, October 18, 2023, the interest rate is the same for 3 months & 10 years.

Source : ECB


B. Bernanke dans son blog “Why are interest rates so low, term premiums’’ Apr. 2015 distingue trois composantes dans la formation des taux à long terme d’un bon : 1) les anticipations d’inflation ; 2) les anticipations sur l’évolution des taux courts (donc de la BC) en termes réels, et 3) un élément dû à la durée du prêt (“term premium’’).


À l’heure actuelle, contrairement à l’époque où a écrit Bernanke (2015), 1) les anticipations d’inflation ne sont pas faibles, notre anticipation tourne autour de 3%. 2) nous n’anticipons pas de baisse des taux BC dans le court terme (“higher for longer’’) donc autour de 4.5% ou 1.5% en termes réels. 3) Le “term premium’’ demandé pour porter des bons à plus de cinq ans tournerait autour de 1.5% et varierait à la hausse en fonction des anticipations des “bond vigilantes’’ sur la santé économique et financière des pays de la ZE. Les taux longs (à 10 ans) devraient donc tourner autour de 6%-6.5% et plus; or ils s’élèvent aujourd’hui à 3.7% pour la ZE et 4.7% pour les États-Unis (cf. tableau 2). Si notre estimation est correcte, il y a encore de la marge pour que les taux longs augmentent.


Dans la mesure où, aujourd’hui, le “term premium’’ est nul ou même négatif il faut s’attendre à des hausses de taux longs. Dans la ZE, le premium demandé sur les bons à 10 ans (pour tous les bons, pas uniquement les bons AAA) est nul par rapport aux bons à trois mois (cf. figure 5). Aux États-Unis, il y a encore une inversion des taux, les taux à 10 ans sont inférieurs aux taux à trois mois. Les investisseurs dans une période de demande forte pour les bons du Trésor devraient demander des taux longs plus élevés que les taux courts (“yield premium’’). On peut donc s’attendre à une hausse des taux longs (taux à 10 ans) par rapport aux taux courts.


Le “term premium’’ devrait augmenter pour trois raisons : 1) l’offre de bons par le Trésor américain augmente pour financer ses déficits budgétaires (idem pour la France); 2) La Fed et la BCE n’achètent plus de bons du Trésor (arrêt du QE) et 3) Les BC sont déterminées à garder les taux directeurs à un niveau élevé, car le taux d’inflation est encore supérieur à la cible (2%). Donc si notre analyse est correcte, il faut s’attendre à des taux longs plus élevés.


Le taux à 10 ans a augmenté rapidement ces derniers mois pour atteindre 5% (+un point de pourcentage durant ces trois derniers mois).


  • On change de paradigme

Un taux d’intérêt à 10 ans supérieur à 5.5% a des conséquences financières importantes. On change de paradigme, on passe d’un monde à taux faibles voir nuls et liquidité abondante à des taux élevés et positifs en termes réels on n’est plus dans le monde des keynésiens «endettez-vous, endettez-vous» (O. Blanchard).


La hausse des taux comme nous l’avons vu dans l’introduction a pour effet de réduire la valeur des bons (non seulement des obligations, mais aussi la valeur des prêts bancaires). Ce que nous a appris de la crise de SVB, c’est que les bons du Trésor qu’on croyait être un actif sûr était en fait un actif dont la valeur fluctuait en fonction des taux, or les banques ont été encouragées à détenir des obligations du trésor dans leurs actifs, car ce sont des actifs réputés sûrs et très liquides nécessitant un capital faible.


Quand une institution financière a un portefeuille important en obligations et que les taux augmentent rapidement, la valeur de leur portefeuille diminue. Cela n’a pas d’importance si l’institution financière peut garder ses obligations jusqu’à l’échéance, mais si, pour des raisons de liquidité, elle est obligée de les vendre en panique (cas des fonds de pension au RU, Silicon Valley Bank aux États-Unis, Crédit Suisse) alors elle vend à perte et peut entrer en faillite. Le secteur non bancaire (“shadow banks’’) est particulièrement vulnérable à la hausse des taux.


Étant donné les taux faibles, le risque de taux n’a pas été pris en compte jusqu’à l’affaire Truss-Kwarteng (septembre 2022). Les BC se sont concentrées, à juste titre, sur la lutte contre l’inflation, elles devront sans doute intervenir pour soutenir le système financier (sans doute à coup de politique de QE ad hoc et de lignes de crédit accordées aux banques).


Les taux des bons du trésor américain se répercutent sur tous les taux, prêts bancaires, prêts immobiliers, cela risque d’entrainer une récession aux États-Unis et en Europe. Les taux immobiliers aux États-Unis s’élèvent aujourd’hui à 8% (30 ans), taux le plus élevé depuis 2000 ; fin 2021, il s’élevait à 3.2%.


La hausse des taux va avoir des conséquences considérables sur le service de la dette pour tous les pays riches et pauvres. Pour les pays endettés en devises s’ajoute le coût de la dépréciation de leur monnaie par rapport au dollar.


La politique des taux ne dépend plus uniquement des BC, les marchés vont reprendre la main et vont déterminer le niveau des taux longs. La contradiction entre des politiques monétaires rigoureuses pour lutter contre l’inflation et des politiques budgétaires laxistes va se traduire par des taux déterminés par les marchés. Les “bond vigilantes’’ vont, à notre avis, accroître les taux. tant donné la hausse des taux longs, il est possible que la Fed n'augmente pas son taux directeur lors de la prochaine réunion. Mais comme l’a fort bien dit J. Powell hier (19 oct. 2023) « il est nécessaire d’avoir un peu d’humilité » parce que personne ne comprend bien ce qui arrive…alors prenez mes anticipations avec “a pinch of salt’’ comme disent les Anglais.




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